par Thibault LOSFELT (1)
Une consultation en urgence est demandée pour une ânesse de 10 ans, née à La Réunion, retrouvée en décubitus latéral le matin du 1er février 2013. Deux événements antérieurs sont à noter :
– Quatre semaines auparavant, le 4 janvier, un âne de 14 ans est retrouvé mort, le lendemain du passage d’un cyclone, aucun vétérinaire n’est contacté, aucune autopsie n’est réalisée, la cause de la mort étant prise pour accidentelle.
– Quelques jours avant l’appel pour l’ânesse, le 25 janvier, un âne de 4 ans a été euthanasié par nécessité : il est extrêmement affaibli, recouvert de stomoxes (Stomoxis calcitrans) provoquant des lésions cutanées ulcératives auxquelles il ne réagit pas sur le bout du nez, les paupières, les membres, les côtes, … L’âne est en décubitus latéral depuis plus de 6 heures, il est en hypothermie (T<35°C), avec des muqueuses très pâles et il n’est pas possible de le relever. L’euthanasie est proposée et acceptée. L’autopsie et les examens complémentaires sont refusés.
Lorsque l’ânesse est examinée le 1er février : elle est en décubitus latéral, elle est également le siège de plusieurs centaines de piqûres de stomoxes et les paramètres vitaux sont modifiés (T 36,4°C ; muqueuses pâles, TRC 3s, FC 80, FR 20). L’ânesse ne se tient debout que maintenue par des sangles fixées à un tracteur.
Une perfusion est installée (NaCl 0,9% 3 litres en 3 heures interrompue par 250 ml NaCl 10% ainsi que 250 ml de soluté glucosé à 240mg/ml) en attendant les premiers résultats de la numération sanguine, qui révèlent une anémie sévère (tableau 1).
L’ânesse reçoit une injection de 4 mg de dexaméthasone et une transfusion de 1,5 litre de sang est réalisée. La fille de l’ânesse est choisie comme donneur, elle est âgée de 2 ans et pèse environ 150 kg.
Suite à cela, l’ânesse commence à s’alimenter et maintient la station debout, sans ataxie. Douze heures après le traitement, l’ânesse est à nouveau en décubitus latéral et décède 2 heures plus tard.
L’autopsie révèle une privation sanguine importante sur l’ensemble des organes. L’ânesse était gestante de 5 mois environ, 3 lésions d’ulcères non perforant (<1cm) sont remarquées sur la muqueuse gastrique. En outre, aucune hémorragie ni aucun ictère ne sont constatés, aucun parasite interne n’est retrouvé macroscopiquement.
Les prélèvements réalisés avant la mise en place du traitement donnent les résultats suivants :
La biochimie sanguine (tableau 2) révèle un catabolisme tissulaire augmenté (ASAT, LDH, CPK, urée) associé à une hyper gammaglobulinémie (tableau 3).
Le tableau clinique et épidémiologique regroupant au moins 2 mortalités à quelques jours d’intervalle avec la même symptomatologie (faiblesse extrême avec anémie sans fuite sanguine, évolution suraiguë avec mort en moins de 24 heures) conduit à explorer l’anémie. Cependant pour des raisons économiques, les examens complémentaires sont entrepris par étape.
La leptospirose est testée par micro-agglutination (L. icterohemorrhagiae, L. grippotyphosa, L. pomona, L. australis, L. autumnalis) et donne des titres inférieurs au seuil de positivité (1/200).
La quantité très importante de stomoxes constatée sur les individus malades est principalement due à l’épandage de sang séché pratiqué quelques semaines auparavant (les équidés sont détenus sur une exploitation agricole) et les fortes pluies durant l’été austral ont aggravé le phénomène d’invasion. Les recherches s’orientent donc également vers les maladies transmises par ces insectes hématophages 4. L’Anémie Infectieuse des Équidés est ainsi testée, le test de Coggins s’avère positif (ANSES Dozulé).
Afin de limiter les frais, les autres examens complémentaires n’ont pas été demandés (anaplasmose, borréliose, piroplasmose, test de Coombs, …).
C’est la première fois qu’un test de Coggins est positif sur l’Île de La Réunion alors que le dépistage est effectué régulièrement mais non systématiquement (visite d’achat, dépistage des reproducteurs, suspicions cliniques).
Le tableau clinique de l’AIE est très protéiforme mais classiquement dans les formes suraigües et aigües sont décrites de l’hyperthermie, de l’entérorragie, des pétéchies des muqueuses, qui dans ce cas n’étaient pas présentes. Le tableau nécropsique est aussi différent de celui décrit dans la littérature : hépatomégalie, splénomégalie, myocardite. Eléments qui n’ont pas été mis en évidence dans ce cas.
Suite à ce résultat, un arrêté préfectoral portant déclaration d’infection (APDI) a été édité. Les 3 équidés restant sur le foyer (2 ânes et un poney) ont été prélevés comme la réglementation le prévoit, 2 tests de Coggins ont été réalisés à 3 mois d’intervalle. Les premiers résultats étaient négatifs. Le second test s’est révélé positif pour l’un des ânes, indiquant une séroconversion au cours des 3 mois et confortant la présence de l’AIE à La Réunion.
L’enquête épidémiologique diligentée par la DSV est en cours. Elle s’appuie notamment sur le réseau formé par les vétérinaires regroupés au sein de la commission de médecine tropicale de l’AVEF. Un prochain article sur la gestion de crise dans un contexte insulaire est en cours de rédaction.
Lexique :
Stomoxe : mouche piqueuse
Bibliographie :
1. Zinkl J.G. et al., Reference ranges and the influence of age and sex on hematologic and serum biochemical values in donkeys (Equus asinus). Am. J. Vet. Res. 1990;51:408–413.
2. JAILLARDON, L. – Les spécificités de la lignée érythrocytaire chez l’âne, le poney et les chevaux de race lourde ; 2009 – Nouv. Prat. vét. équine 2009 , 5 , (19), 35-42
3. DENIAU V., Transfuser du sang ou du plasma, Quand ? Pourquoi ? Comment ? Journées AVEF 2004
4. BOUYER J. et al., Importance épidémiologique et contrôle des stomoxes à la Réunion, Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation n° 43/Spécial DOM-TOM, 2010
5. Dossier « les anémies chez les équidés », Nouv. Prat. vét. équine 2009 , 5 , (19)
6. Pages L. et al, Leptospirose à la Réunion et à Mayotte, 09.07.2013,
7. TRUFFERT M., Bilan épidémiologique et règlementaire de l’AIE en France, perspective et évolution. Thèse d’exercice, 2011, Maisons-Alfort.
(1) Clinique vétérinaire de Grand Fond – Saint-Gilles-des-Bains (974)