Bilan provisoire des recherches menées sur la myopathie atypique – bulletin n°37
Par Christel MARCILLAUD PITEL (1), Eric RICHARD (2) Marie-Pierre TOQUET (2), Marie-Dominique VOTION (3)
Dix ans après l’apparition des premiers cas de myopathie atypique sur le territoire français (Moussu et al., 2003), il a été découvert que cette maladie résultait de l’ingestion d’hypoglycine A, une molécule présente dans les graines de certains érables dont l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus ; Photo 1) ; Votion et al., 2014. Grâce à l’Institut français du Cheval et de l’Équitation (ifce), une recherche collaborative a été initiée en 2014 entre le Réseau d’ÉpidémioSurveillance en Pathologie Équine (RESPE), le LABÉO Frank Duncombe et l’Université de Liège. Les objectifs du projet « myopathie atypique » soutenu par l’ifce se déclinent en 3 axes pour répondre à des questions environnementales, sociétales et de bien-être animal. Les résultats engrangés dans chacun de ces axes sont brièvement décrits dans ce bulletin.
Photo 1 : Samares de l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus)
Axe 1 – Identifier les causes environnementales responsables de l’émergence de la maladie
Pour réaliser les objectifs de cet axe, il était nécessaire, au préalable, de valider une technique de dosage de l’hypoglycine A dans des extraits végétaux. La recherche menée a conduit à cette validation (Habyarimana et al., 2016) et a permis de confirmer la présence d’hypoglycine A dans les samares de l’érable sycomore mais aussi de montrer que cette molécule était présente dans les plantules printaniers (Photo 2). Ces résultats corroborent l’hypothèse selon laquelle les cas de myopathie atypique du printemps résulteraient de l’ingestion de ces plantules (Baise et al., 2016). D’autre part, des résultats préliminaires suggèrent que l’hypoglycine A diffuse en dehors des samares et pourrait dès lors contaminer l’environnement (herbe, eau de boisson etc.).
Photo 2 : Plantules de l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus)
En outre, le dosage de l’hypoglycine A dans les échantillons végétaux va permettre de déterminer les causes environnementales de l’émergence de la maladie et de vérifier la toxicité ou l’innocuité des érables communs de nos régions.
Axe 2 – Renforcer l’épidémiosurveillance et informer le secteur équin
Le RESPE travaille continuellement à améliorer le système d’enregistrement des cas de myopathie atypique et outre le système des vétérinaires sentinelles, les différents acteurs de la filière équine disposent également du système VigiRESPE (http://www.respe.net/info_vigirespe) qui leur permet de déclarer des cas au RESPE mais également de se tenir informés, en temps réel, de l’émergence de séries cliniques. D’autre part, depuis octobre 2015, la déclaration des cas par les vétérinaires sentinelles peut désormais s’effectuée via un smartphone ou une tablette, en plus de l’accès à partir d’un ordinateur. La diffusion d’informations vulgarisées est assurée par le site du RESPE (http://www.respe.net/search/node/myopathie%20atypique) et un site dédié à la myopathie atypique (www.myopathie-atypique.be).
Axe 3 – Améliorer la gestion des cas par un meilleur diagnostic et une évaluation plus juste du pronostic ; chercher un traitement préventif et curatif basés sur l’étiopathogénie de la maladie
Une fois ingérée, l’hypoglycine A est métabolisée en une molécule toxique (présente dans le sang sous forme de MCPA-carnitine) qui conduit à des désordres biochimiques caractérisés par un profil sanguin modifié en acylcarnitines. L’hypoglycine A étant disponible commercialement, le développement de sa technique de dosage sanguin a été relativement rapide (Boemer et al., 2015) et a permis de montrer que chez les chevaux souffrant de myopathie atypique, il n’y avait pas de différence significative entre les survivants et les décédés. De plus, il a été observé que de l’hypoglycine A était retrouvé dans le sang de chevaux sains co-pâturant avec des cas de myopathie atypique. Dès lors, si ce dosage contribue au diagnostic (montre le contact avec l’agent étiologique), il ne semble avoir aucune valeur pronostique. Par contre, la détermination du profil sanguin des acylcarnitines montre qu’il est possible de calculer un indice de probabilité que le cheval survive à partir du dosage de plusieurs acylcarnitines. Lorsque le programme de recherche a été initié, les techniques de dosage de l’hypoglycine A et du MCPA-carnitine dans le sang n’étaient pas validées. Le LABÉO Frank Duncombe a commandité la synthèse de MCPA-carnitine et travaille actuellement à la validation de la technique de dosage sanguin de cette molécule toxique. Une analyse statistique rigoureuse permettra très prochainement de recommander les analyses biochimiques particulières à réaliser pour poser un diagnostic de certitude de la maladie et pour évaluer le pronostic de survie.
Le plus grand challenge de la recherche en cours reste de trouver un traitement préventif et/ou curatif de la myopathie atypique.
Remerciements
Les vétérinaires sentinelles du RESPE, tous les cliniciens des cliniques universitaires et privées ainsi que les vétérinaires praticiens et les propriétaires des chevaux qui nous ont communiqués des cas sont chaleureusement remerciés. Sans leur aide, il ne serait pas possible d’effectuer cette étude. Les auteurs de cette étude remercient l’ifce pour son soutien financier.
Bibliographie
BAISE E., HABYARIMANA J.A., AMORY H., BOEMER F., DOUNY C. , GUSTIN P., MARCILLAUD-PITELC., PATARIN F., WEBER M., VOTION D. Samaras and seedlings of Acer pseudoplatanus are potential sources of hypoglycin A intoxication in atypical myopathy without necessarily inducing clinical signs. Equine Vet J. 2015. doi: 10.1111/evj.12499.
BOEMER F., DEBERG M., SCHOOS R., BAISE E., AMORY H., GAULT G., CARLIER J., GAILLARD Y., MARCILLAUD-PITEL C., VOTION D. Quantification of hypoglycin A in serum using aTRAQ® assay. Journal of Chromatography B. 2015, 997, 75-80.
HABYARIMANA, J.A. DOUNY, C., BAISE, E., WEBER, M., FRANCK, T., J., VOTION, D., GUSTIN, P. Validation of HPTLC method for quantitative determination of Hypoglycin A in methanolic extracts of Maple (Acer) samples. 2016, Soumis pour publication.
MOUSSU C., SAISON A., BERMANN F., PITEL P.-H., BERNADAC M. La myoglobinurie atypique des équidés : une nouvelle maladie ? Epidémiologie et santé animale. 2003, 43, 105-110
VOTION D.-M., VAN GALEN G., SWEETMAN L., BOEMER F., DE TULLIO P., DOPAGNE C., LEFÈRE L., MOUITHYS-MICKALAD A., PATARIN F., ROUXHET S., VAN LOON G., SERTEYN D., SPONSELLER B.T., VALBERG S.J. Identification of methylenecyclopropyl acetic acid in serum of European horses with atypical myopathy. Equine Vet J. 2014, 46, 146-149.
(1) Réseau d’ÉpidémioSurveillance en Pathologie Équine (RESPE)
(2) LABÉO Frank Duncombe
(3) Pôle équin, Fundamental and Applied Research for Animals & Health (FARAH), Faculté de Médecine vétérinaire de l’Université de Liège