Conduite du vétérinaire praticien pour établir le diagnostic étiologique d’un avortement – bulletin n°25

Claire LAUGIER (1), Nathalie FOUCHER (1), Corinne SEVIN (1), Estevan GUIX (1), Aymeric HANS (1) et Jackie TAPPREST (1)

Face à un avortement dans un élevage, le praticien doit respecter une démarche diagnostique stricte, adaptée aux différents cas.

Cette démarche encadre largement le protocole plus spécifique du réseau avortement du RESPE et comporte successivement :

1. Le recueil de commémoratifs qui doit notifier :

– L’existence de prodromes :

– écoulements vulvaires mucopurulents et développement mammaire voire écoulement lacté lors de placentite

– avortement brutal sans signes précurseurs lors de rhinopneumonie.

– Le stade de la gestation lors de son interruption.

– Les caractéristiques de l’expulsion foetale et annexielle.

Les avortements herpétiques se caractérisent par une expulsion simultanée des annexes et du foetus. Souvent le foetus est retrouvé dans l’amnios, voire dans l’amnios recouvert de l’allantochorion.

– Le passé reproductif et médical de la jument.

– Le statut vaccinal de la jument et du reste de l’ensemble de l’effectif.

– Les mouvements récents d’animaux ainsi que leur fréquence et leur importance.

– L’identification de signes cliniques particuliers dans l’élevage et, notamment des symptômes respiratoires ou nerveux.

– Les causes de stress éventuel.

– Les qualité et quantité de l’alimentation et de l’abreuvement.

– La possibilité d’accès à des substances ou des végétaux toxiques.

2. Les prélèvements à effectuer sur le foetus et ses annexes

– Le foetus et la totalité des annexes (cordon ombilical, amnios, allantochorion) doivent être conservés et placés dans des sacs plastiques étanches.

– Si un fragment d’allantochorion est récupéré dans l’utérus de la jument au moment de l’examen génital, il faut le conditionner à part dans un récipient stérile ou au moins propre (gant de « fouille » par exemple).

L’ensemble est expédié, pour autopsie, à un laboratoire compétent, capable de rechercher aussi bien des causes infectieuses que non infectieuses comme par exemple des anomalies annexielles.

A défaut, une autopsie doit être rapidement réalisée par le praticien. Cet examen macroscopique permet au praticien, dans certains cas, d’énoncer une hypothèse étiologique (ex gestation dans le corps placentaire). Cependant, quel que soit le résultat de l’autopsie, des prélèvements pour recherche d’agents infectieux doivent être pratiqués car la coexistence de 2 pathologies de signification épidémiologique ou clinique différente est toujours possible. Ces prélèvements sont réalisés au cours de l’autopsie du foetus et de l’examen de ses enveloppes.

3. L’autopsie du foetus

Un examen complet du foetus et de ses annexes doit être réalisé. Le protocole détaillé a été décrit précédemment (Collobert C. L’autopsie du poulain : technique, principales causes de mortalité, lésions et prélèvements. Bull. GTV 1995, 45 (4) : 69-87.) ; cependant quelques points particuliers méritent d’être soulignés.

L’examen externe du foetus débute par une évaluation de son état nutritionnel (émaciation) et de sa taille (mesure de la longueur base de la queue – nuque). La présence de poils sur la crinière, le bout du nez, les paupières est recherchée. Ces critères associés à la taille du foetus permettent d’estimer ou de vérifier le stade de gestation et d’identifier un éventuel retard de développement.

Le degré d’autolyse est noté :

– Avant six mois de gestation, le foetus est souvent très autolysé car l’expulsion foetale peut être, dans ce cas, tardive par rapport à sa mort in utero. L’état d’autolyse rend alors difficile la recherche et l’interprétation de lésions macroscopiques et impossible tout examen histologique. Les résultats des examens bactériologiques sont également difficiles à interpréter car l’isolement de bactéries pathogènes dans les organes foetaux peut résulter d’une invasion du foetus déjà mort et du placenta, par des bactéries passées dans l’utérus à la faveur de l’ ouverture du col.

– Après 6 mois de gestation, l’autopsie est susceptible d’apporter plus d’informations. Les avortements tardifs d’origine infectieuse sont très souvent accompagnés d’une expulsion de méconium.

Les insuffisances placentaires chroniques, outre un retard de développement et une émaciation, se traduisent par un aspect assez caractéristique du foie foetal : hypertrophie, coloration anormale beige rosé à orangé, diminution de consistance (photo 1 à droite).

Lors de septicémie foetale, le foetus est en général bien conservé (car l’expulsion suit de près la mort foetale) ; on observe des lésions congestives à congestivo-hémorragiques disséminées, des foyers d’oedème jaune, une hyperplasie des follicules lymphoïdes spléniques, et occasionnellement un ictère, des épanchements cavitaires jaunes et une densification du parenchyme pulmonaire en relation avec l’aspiration de liquide amniotique contaminé.

Les avortements herpétiques surviennent le plus souvent tardivement (après le 8ème mois de gestation) mais des cas précoces sont toujours possibles (dès 4 mois).

Le tableau lésionnel est caractéristique s’il est complet ; sinon il est voisin de celui des septicémies foetales. Il inclut un ictère généralisé, associé à des pétéchies sur les muqueuses buccales et/ou conjonctivales (photo 2), des foyers d’oedème jaune localisés au tissu conjonctif sous-cutané, au hile du foie, à la racine du mésentère, en périphérie des reins et du thymus, un hydropéritoine et un hydrothorax jaunes à jaune orangé (photo 3), des foyers de nécrose ponctiformes dans le foie (photo 4), une densification du parenchyme pulmonaire en partie crânio-ventrale (photo 5), une forte congestion et des pétéchies sur les muqueuses respiratoires.

Lors d’avortement causé par le virus de l’AVE, la mort foetale est due à une anoxie secondaire à une myométrite multifocale aiguë. Il est communément admis que les foetus sont très souvent autolysés et ne présentent pas de lésions significatives. Cependant, sur les poulains nouveau-nés et le foetus autopsiés au cours de l’épizootie 2007, des lésions assez caractéristiques ont été identifiées :

– des foyers d’oedème blanchâtres à jaunes disséminés dans le tissu conjonctif sous-cutané notamment sur les membres, dans la région du fourreau et du scrotum ou de la mamelle, en région ombilicale (photo 6)

– un hydropéritoine et un hydrothorax blanchâtre à jaunâtre, de turbidité variable (photo 7),

– des lésions de bronchopneumonie aiguë incluant une densification marquée du parenchyme pulmonaire associée à de nombreux territoires d’hépatisation rouge.

Les prélèvements effectués en routine sur les foetus et leur destination sont détaillés dans les tableaux 1 et 2.

4. L’examen des enveloppes foetales

L’interprétation des anomalies éventuelles siégeant sur les annexes foetales exige une bonne connaissance de toutes les variations morphologiques normales de ces structures.

Il débute par l’évaluation du poids, de la taille, du degré d’autolyse et de l’intégrité.

Sur la face choriale de l’allantochorion, on recherchera particulièrement des zones dépourvues de villosités ou de faible densité en villosités (hypoplasie des villosités), ainsi que des plages épaissies, de coloration anormale, beige à jaunâtre, éventuellement recouvertes d’un enduit nécrotique (placentite) (photo 8). Il faut garder à l’esprit que certaines aires placentaires sont normalement dépourvues de villosités.

L’aspect des allantochorions lors de gestation gémellaire est caractéristique – la zone d’accolement des 2 placentas est exempte de villosités – ce qui permet d’établir un diagnostic de gestation gémellaire, même lorsqu’un seul des 2 foetus a été retrouvé.

Sur la face allantoïdienne, on recherche également des lésions congestives ou congestivo-hémorragiques, des anomalies vasculaires. L’aspect des vaisseaux amniotiques est aussi noté.

Le cordon ombilical mesure en moyenne 55 cm; son diamètre est à peu prés constant et il présente un aspect torsadé uniforme et régulier (8 à 9 tours). Les cordons ombilicaux trop longs (> 80-90 cm) sont prédisposés à une torsion excessive ou à un enroulement autour d’un appendice foetal (encolure, membre) entraînant une compression de la veine ombilicale et la mort foetale. L’enroulement du cordon ombilical autour d’une partie du corps foetal est plus rarement observé que la compression du cordon par torsion excessive.

Dans ce dernier cas, on observe un nombre de tours de spires augmenté et des troubles circulatoires sur le cordon, qui présente un aspect oedémateux et hémorragique à l’exception de la zone de striction qui est pâle et étroite (photo 9). Des lésions circulatoires affectent également le foetus (oedème hémorragique sous-cutané et sous-péritonéal en périphérie de l’attache ombilicale). Des torsions ou compressions du cordon ombilical, de moindre intensité, peuvent survenir, elles conduisent alors à une obstruction du canal de l’ouraque. Le défaut d’écoulement de l’urine entraîne la formation de poches de dilatation sur son trajet (photo 10).

Les prélèvements à effectuer de façon systématique sur les annexes foetales sont (tableaux 1 et 2) :

– des écouvillons de la face choriale du placenta réalisés sur toute zone lésionnelle et dans la région de l’étoile cervicale, pour examen bactériologique ou fungique,

– des portions d’allantochorion pour recherche virale (artérite à virus, EHV1),

– des portions d’allantochorion et de toute zone anormale des annexes foetales (vaisseaux ombilicaux par exemple), pour examen histologique.

Les analyses complémentaires peuvent se limiter pour des raisons économiques à la recherche d’agents infectieux.

 

 

(1) Afssa

Egalement dans ce bulletin