Epizootie d’encéphalo-myélites due au virus du Nil occidental (virus West Nile) en Camargue en 2015 – bulletin n°37

par Pierre TRITZ (1,2), Agnès LEBLOND (2,3), Cécile BECK (2,4) et Sylvie LECOLLINET (2,4)

La surveillance des maladies nerveuses des équidés via le sous-réseau syndrome neurologique du RESPE (Réseau d’épidémio-surveillance en pathologie équine), a permis de détecter fin août deux cas d’infection par le virus du Nil Occidental ou West Nile. Ces deux équidés ont présenté des signes cliniques nerveux (ataxie, troubles de la conscience et/ou tremblements) respectivement depuis les 11 et 17 août 2015 et étaient stationnés dans les Bouches-du-Rhône et dans le Gard, en périphérie de la zone Camarguaise. Dans le passé, l’infection à virus West Nile a été rapportée à plusieurs reprises dans le Sud de la France (Camargue dès les années 1960, dans l’Hérault en 2000 puis dans le Var en 2003, dans les Bouches-du-Rhône et le Gard en 2004 et les Pyrénées-Orientales en 2006) ; les derniers cas d’infection à virus West Nile en Camargue chez les chevaux remontent à 2004.

Suite à l’apparition de nombreux cas dans le bassin méditerranéen à partir de 2008, le sous-réseau a évolué en 2008 pour détecter les émergences et/ou la réémergence de la Fièvre West Nile en France.

L’infection à virus West Nile est une maladie non contagieuse, transmise principalement par la piqûre de moustiques infectés du genre Culex. Le virus est amplifié selon un cycle moustique-avifaune-moustique et peut être inoculé par un moustique infecté au Cheval ou à l’Homme. Le Cheval et l’Homme sont des hôtes très sensibles à l’infection et peuvent développer une méningo-encéphalite sévère (dans moins d’un cas sur 10 chez le Cheval et environ 1 cas sur 140 chez l’Homme, la majorité des infections passant inaperçues ou prenant la forme d’une pseudo-grippe estivale). Le Cheval ou l’Homme constituent cependant des culs-de-sac épidémiologiques, c’est-à-dire un cheval ou un homme infecté multiplie peu le virus et ne permettra pas l’infection de nouveaux moustiques.

En juillet et août derniers, le réseau a reçu plusieurs déclarations par semaine (3 la semaine 31, 4 la semaine 32), si bien qu’au mois d’août, le RESPE a enregistré 9 déclarations dans le sous-réseau Syndrome Neurologique. En particulier le 17 août, le RESPE enregistrait deux déclarations, une dans les Bouches du Rhône et une dans le Gard. Le premier cheval, un mâle âgé de 3 ans, présentait des symptômes depuis le 11 août. Le jour de la déclaration, le vétérinaire a observé les signes suivants : température à 38,5°C, fréquence cardiaque (FC) de 80 /min, fréquence respiratoire (FR) 50 /min, décubitus, semi-coma, convulsions et parésie. Il a été euthanasié le lendemain. Le second équidé, une jument de 3 ans, présentait les symptômes suivants : température augmentée à 39,1°C, décubitus, anxiété et parésie et a également été euthanasié le lendemain. Les deux chevaux ont présenté des sérologies positives en tests ELISA de compétition et de capture des IgM West Nile au Labeo Frank Duncombe, confirmées par le laboratoire de référence, l’ANSES à Maisons-Alfort. Les seuls diagnostics clinique, non pathognomonique, et épidémiologique sont en effet insuffisants pour établir l’existence d’une infection à virus West Nile [Porter et coll]. Le recours au diagnostic de laboratoire est indispensable pour confirmer ou infirmer l’infection et a permis ici de rapidement identifier les deux premiers cas d’infection à virus West Nile. En septembre, le réseau recense un nombre inhabituel de déclarations, 14 en un mois (figure 1). Parmi ces cas un seul cas se révèle positif en sérologie West Nile dans les Bouches-du-Rhône sur un hongre camarguais de 7 ans. Les signes cliniques relevés sont une hyperthermie, un abattement marqué, une encolure basse, une posture modifiée et une ataxie symétrique des 4 membres (grade 4 /5). Un tel pic de déclarations d’encéphalo-myélites n’avait été atteint que 2 fois dans le passé en novembre 2012 et juillet 2013 .Les 13 autres cas, trouvés négatifs en sérologie West Nile, ont permis de vérifier l’absence de circulation du virus en dehors de la zone « Camargue » (figure 2).

 

 

déclarations mensuelles dans le sous-réseau Syndrome Neurologique du RESPE de 2011 à 2015.

Figure 1 : déclarations mensuelles dans le sous-réseau Syndrome Neurologique du RESPE de 2011 à 2015.

Nombre de chevaux suspects de méningo-encéphalite déclarés au RESPE. Le nombre de suspicions cliniques par département est noté quand il est supérieur à 1.

Figure 2 : Nombre de chevaux suspects de méningo-encéphalite déclarés au RESPE. Le nombre de suspicions cliniques par département est noté quand il est supérieur à 1.

 

Au terme de l’épizootie West Nile, 39 foyers équins au total ont été confirmés dans les trois départements des Bouches-du-Rhône, du Gard et de l’Hérault (Figure 3, Table 1). La plupart des foyers sont situés dans la région Camarguaise, à la frontière des départements des Bouches-du-Rhône et du Gard, dans une zone d’une soixantaine de kilomètres nord-sud (entre Saintes-Marie-de-la-Mer et Boulbon) et est-ouest (entre Salon de Provence et Milhaud). Dans l’Hérault, seul un cas a été détecté et il est situé à une cinquantaine de kilomètres des autres foyers. Un autre cas a également été confirmé dans le Var, mais ce cheval, arrivé dans l’élevage quelques jours auparavant, avant l’apparition des premiers signes cliniques, était originaire d’un élevage des Bouches-du-Rhône situé à proximité d’autres élevages infectés. Il est donc certain que ce cheval se soit infecté avant son arrivée dans le Var. Les derniers cas confirmés en octobre (en fin d’épizootie) étaient situés à Arles, Salon de Provence, Pont de Crau (Bouches-du-Rhône), Vauvert et Saint Gilles (Gard). La date la plus tardive d’apparition des signes cliniques est le 30 octobre 2015.

 

Sur les 48 chevaux reconnus infectés, seuls cinq n’ont pas manifesté de signes cliniques et trois ne présentaient que de l’hyperthermie (Tableau 1). Tous les autres ont manifesté des signes de méningo-encéphalite plus ou moins sévères. Parmi les 41 chevaux présentant des signes nerveux, six sont morts de la maladie ou ont été euthanasiés (létalité de 14,6 %). Le nombre de chevaux présentant des signes cliniques et confirmés comme infectés a varié entre 1 et 9 par semaine entre le 16 août (date de confirmation du premier cas) et le 30 octobre (Figure 4). La durée d’incubation étant de trois à quinze jours, ces chevaux ont pu être infectés par le virus dans les deux semaines précédant l’apparition des signes. Un élevage a été particulièrement touché avec 7 cas positifs.

 

 Nombre de foyers et de chevaux confirmés infectés par le virus West Nile par la surveillance évènementielle, point au 30 octobre 2015

Table 1 : Nombre de foyers et de chevaux confirmés infectés par le virus West Nile par la surveillance évènementielle, point au 30 octobre 2015

 

Calendrier des infections à virus West Nile en région Camargue, août-octobre 2015. Le calendrier a été établi à partir de la date de début des signes cliniques.

Figure 3 : Carte des foyers équins de fièvre West Nile dans le sud-est de la France au 30 octobre 2015.

Calendrier des infections à virus West Nile en région Camargue, août-octobre 2015. Le calendrier a été établi à partir de la date de début des signes cliniques.

Figure 4 : Calendrier des infections à virus West Nile en région Camargue, août-octobre 2015. Le calendrier a été établi à partir de la date de début des signes cliniques.

lésions macroscopiques et histologiques observées sur l’encéphale d’un cas confirmé d’infection à virus West Nile.

Figure 5 : lésions macroscopiques et histologiques observées sur l’encéphale d’un cas confirmé d’infection à virus West Nile.

Encore une fois la difficulté à prélever des encéphales est apparue au grand jour, notamment à cause du manque de structures capables de réaliser des autopsies de grands animaux et en particulier du Système Nerveux Central.

Durant cet épisode, un cheval mort de fièvre West Nile dans le Gard a pu être autopsié à l’Anses Dozulé. Les lésions macroscopiques de l’encéphale se limitaient à de petits foyers hémorragiques linéaires dans le tronc cérébral et dans l’adhérence inter-thalamique (Figure 5). L’analyse histologique a mis en évidence une encéphalomyélite non suppurée, caractérisée par des manchons lymphocytaires périvasculaires et des nodules gliaux dans le tronc cérébral et la moelle épinière. En revanche, la recherche du virus sur biopsie cérébrale après mort de l’animal a permis d’isoler le virus et d’en faire le séquençage. L’analyse phylogénétique du virus isolé a montré que ce virus appartient à une souche de lignage 1, clade Méditerranéen de l’Ouest, et est très proche génétique de la souche qui circulait en France en 2000 ou 2004. La souche est représentative des souches isolées à l’Ouest du Bassin méditerranéen à la fin des années 1990 et au début des années 2000 (Camargue 2000 et 2004, Portugal 2004, Maroc 2003, Italie 1998). Ces premières données pourraient être en faveur d’un maintien du virus West Nile en région Camargue à bas bruit, ponctué d’événements isolés de réémergence.

 

Mesures et intervention en cas de foyer équin confirmé à virus West Nile

L’infection à virus West Nile chez le cheval est un danger sanitaire de catégorie 1 (de par son caractère zoonotique et la sévérité de l’infection chez le cheval et l’homme) et doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la DDPP concernée. En cas d’infection à VWN confirmée chez un cheval, l’arrêté ministériel du 27 juillet 2004 prévoit des mesures peu contraignantes dans les foyers, à savoir l’isolement et l’interdiction de mouvement pour les seuls équidés malades. Une enquête épidémiologique, un traitement insecticide des équidés et des locaux, une vaccination en périphérie des foyers pourront compléter les mesures prescrites par l’APDI. L’APDI sera levé 15 jours après la mort ou la guérison clinique du dernier cheval atteint.

Il n’existe pas de traitement spécifique de l’infection à VWN. Un traitement symptomatique reposant sur une fluidothérapie, l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou stéroïdiens et de DMSO pourra être mis en place et complété par la mise en œuvre de soins de soutien et de confort dans le but de limiter les risques de chute ou d’automutilation.

En terme de prophylaxie, et même si aucun vaccin n’est commercialisé actuellement chez l’Homme, trois vaccins (DUVAXIN® WNV, Zoetis, Equilis West Nile®, Intervet et Proteq West Nile®, Merial) sont disponibles chez le cheval en Europe. Ces trois vaccins nécessitent une primo-vaccination en 2 fois à 3-6 semaines d’intervalle et une vaccination annuelle par la suite. Ils permettent d’induire une immunité protectrice au plus tôt 4 semaines après la première injection de primo-vaccination mais il faut plus généralement compter 3 semaines après la fin du protocole de primo-vaccination. Compte tenu de ces délais, la vaccination présente peu d’intérêt en cas d’épizootie dans un effectif mais peut être proposée en préventif dans une zone à risque.

Afin de limiter l’ampleur des foyers de fièvre WN, des mesures de lutte contre les moustiques vecteurs seront mises en place ; elles reposent sur une destruction raisonnée des gîtes larvaires de moustiques (eaux stagnantes, telles que coupelles de fleur, piscine,…) et une protection contre les piqûres de moustique (mise en place de pièges à insectes aux abords des écuries, utilisation d’insecticides, de moustiquaires, mise à l’abri des animaux aux périodes les plus à risque à savoir du crépuscule à l’aube).

 

Bibliographie

C. Bahuon (1), C. Marcillaud-Pitel(2), L. Bournez (3), A. Leblond (2,4,5), C. Beck(1), J. Hars(6), I. Leparc-Goffart(7), G. L’Ambert (8), M.-C. Paty(9), L. Cavalerie (10), C. Daix (2), P. Tritz (2,11), B. Durand (12), S. Zientara (1)&S. Lecollinet (1,*). WNV epizootics in Camargue, France, 2015 and reinforcement of WNV surveillance and control networks. Soumis à la revue de l’OIE.

Cécile Beck(1,*), Laure Bournez(2), Jackie Tapprest(3), Agnès Leblond(4,5,*), Eve Laloy(1,6),Philippe Garcia(7,8), Benoit Ecolivet(3), Steeve Lowenski(1), Aurore Poux(1), Alexandra Troyano-Groux(9)Pierre Tritz(10,*),  Céline Bahuon(1), Stéphan Zientara(1)et Sylvie Lecollinet(1,*). Le virus West Nile fait sa réapparition dans le sud Est de la France. Soumis à la Semaine Vétérinaire.

Sylvie Lecollinet1,*, Agnès Leblond2,3,*, Jean-Baptiste Perrin4, Christel Marcillaud-Pitel5, Elodie Lallemand6, Cécile Beck1, Sophie Pradier6, Benoît Durand1, Pierre Tritz7,*, Stéphan Zientara1 (2015) La fièvre West Nile est de retour en France, Recent clinical infections with West Nile virus in horses in South France. Le nouveau praticien vétérinaire équine, 37 : 54-59.

Porter RS, Leblond A, Lecollinet S, Tritz P, Cantile C, Kutasi O, Zientara S, Pradier S, van Galen G, Speybroek N, Saegerman C (2011) Clinical diagnosis of West Nile Fever in Equids by classification and regression tree (CART) analysis and comparative study of clinical appearance in three European countries. Transboundary and emerging diseases 58:197-205.

TRITZ P , PITEL ph , LEBLOND A , Bilan du sous-réseau syndrome neurologique du RESPE : proposition pour une évolution, Congrès AVEF 2007.

(1) Clinique Vétérinaire de Faulquemont
(2) Collège Syndrome Neurologique du RESPE
(3) VetAgro Sup
(4) ANSES

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