La Grippe : Description et évolution – bulletin n°14
Stéphan ZIENTARA (1) et Gwenaëlle DAUPHIN (1)
La grippe chez le cheval
La grippe des équidés est probablement la pathologie des voies respiratoires la plus pénalisante sur le plan économique pour l’industrie du cheval (courses, compétitions, ventes…).
En France, le réseau syndrome grippal (créé au sein du RESPE depuis 1999) a comptabilisé 707 déclarations (sur 430 foyers) de cas de syndromes respiratoires aigus depuis sa création et 84 foyers de grippe confirmés.
En 2003 et 2004, respectivement 17 et 18 foyers de grippe ont été confirmés parmi les 77 et 93 foyers de suspicion de grippe (source RESPE). Ces résultats révèlent d’une part que les maladies respiratoires aiguës restent des pathologies courantes en médecine vétérinaire et d’autre part que les vétérinaires sentinelles y sont sensibilisés.
Nous savons que deux sous-types de virus grippaux existent chez le cheval : A/equine/Prague/1/56 (H7N7) et A/equine/Miami/1/63 (H3N8). Depuis 1979, aucun foyer dû au virus H7N7 n’a été rapporté chez le cheval, même si des traces sérologiques indiquent que ce virus continue de circuler sous forme sub-clinique.
Les virus influenza
Les virus influenza infectent de nombreuses espèces animales (oiseaux, porcs, équidés, cétacés, homme…). La structure des virus équins, aviaires, porcins, humains, … est cependant identique (virus enveloppés, à ARN segmenté négatif). Depuis quelques années, de nombreux épisodes ont mis en évidence la capacité de ces virus à franchir la barrière d’espèce, c’est à dire à infecter des espèces différentes pour lesquelles ils n’étaient pas adaptés jusqu’alors (exemple du virus de la grippe aviaire capable d’infecter l’homme).
Les virus aviaires sont particulièrement intéressants pour l’étude des facteurs du déterminisme de la virulence car ils peuvent être aussi bien à l’origine d’infections asymptomatiques (souches apathogènes) ou d’infections hautement mortelles (souches hautement pathogènes). Il est à noter que chez les oiseaux, les infections grippales sont systémiques alors que chez les mammifères, ces infections sont le plus souvent localisées à l’arbre respiratoire.
La comparaison des séquences en acides aminés de l’hémagglutinine (H ou HA) des souches hautement pathogènes (H5 et H7) aviaires a montré que la virulence était liée en partie à la présence d’acides aminés basiques au niveau du site de clivage HA1/HA2.
De plus, la discrimination d’hôte serait un mécanisme polygénique (les gènes HA et NP semblent notamment concernés) ainsi que l’indiquent les variations des degrés de virulence des virus réassortants. De même, la fixation du virus à son récepteur qui conditionne l’interaction cellule hôte-virus est étroitement dépendante de l’HA ; cependant, alors que tous les sous-types sont présents chez les oiseaux, seul un petit nombre de sous-types infectent l’une ou l’autre des espèces de mammifères (H1, H2 et H3 chez l’homme, H7 et H3 chez le cheval,…). Le mécanisme de cette restriction d’hôte n’est pas connu.
Physiopathologie
Chez les mammifères, la physiopathologie des infections à virus influenza est identique. La porte d’entrée du virus est respiratoire. Les manifestations cliniques de l’infection sont liées aux structures anatomiques et à la physiologie de l’appareil respiratoire. Le virus se fixe sur les cellules épithéliales des muqueuses nasale, pharyngée et bronchique. Il se multiplie en détruisant les cils des cellules qu’il infecte en respectant la membrane basale. Le virus est disséminé dans l’appareil respiratoire en 1 à 3 jours. Le système de défense de l’appareil respiratoire (escalator « muco-ciliaire », les cellules lymphoïdes du BALT, les macrophages alvéolaires…) sont inefficaces.
De larges portions de l’épithélium respiratoire sont détruites et ceci favorise les infections secondaires.
Une phase de virémie peut parfois être observée mais sans doute exclusivement au cours de la première infection. Dans ce cas, le virus peut être retrouvé dans le système nerveux et le liquide péricardique. L’intensité de ces destructions tissulaires massives illustre l’importance du respect de la durée de la convalescence.
Chez les oiseaux, l’infection est essentiellement asymptomatique et intestinale. Le virus se multiplie dans les cellules épithéliales de l’intestin, notamment le côlon puis est excrété dans les fèces puis diffuse dans l’eau. Les autres oiseaux s’infectent ensuite par voie orale ou peut-être cloacale. Le caractère généralement asymptomatique de l’infection semble refléter la stabilité de la relation hôte-virus qui s’est établie depuis des millions d’années.
Alors que l’infection chez les mammifères est respiratoire, certains auteurs considèrent que la nature de ce tropisme traduit le fait que la grippe est une infection récente chez les mammifères et pourrait n’être que la première étape d’une adaptation qui aboutirait à l’établissement d’une relation virus-mammifère identique à celle qui existe chez les oiseaux.
Évolution des virus de la grippe équine
En 1963, une épizootie majeure aux USA a été décrite et a permis l’isolement et l’identification du premier virus H3N8 (Miami/63), prototype du sous-type H3.
Ensuite, à la faveur des mouvements internationaux de chevaux, ce virus a largement diffusé en Europe à partir de 1964.
De nombreuses souches ont été isolées et tous les foyers répertoriés ont désormais pour origine des virus de sous-type H3. L’analyse phylogénétique des isolats indique que les virus équins H3N8 ont évolué en un lignage puis se sont séparés en 2 lignages distincts à partir de 1987 : un lignage européen et un lignage américain.
Les caractéristiques antigéniques ou génétiques (par détermination de la séquence en nucléotides du gène codant pour HA1) ont été déterminées. Sur la base des relations antigéniques entre ces souches, trois groupes ont pu être constitués : un premier groupe qui comprend les isolats d’origine américaine (et un seul isolat d’origine anglaise Newmarket/1/93), un deuxième groupe formé des isolats d’origine européenne (France, Angleterre, Suède, Roumanie) et un troisième qui ne contient que deux isolats (un italien et l’isolat Hong Kong/92). La comparaison des séquences en nucléotides et en acides aminés de ces mêmes souches montre une grande dispersion entre les isolats.
Le réseau d’épidémio-surveillance des virus grippaux créé au sein du RESPE depuis 1999 a permis d’isoler en France des souches de virus influenza équins, dont l’analyse phylogénique a montré que des souches du lignage européen et américain co-circulent en France.
Ces données génétiques renforcent par contre la nécessité d’une surveillance internationale des virus équins qui circulent dans les pays à partir desquels s’effectuent l’essentiel des mouvements de chevaux (ventes, courses, compétitions…). De même, les axes stratégiques quant au choix des souches introduites dans les vaccins s’appuient sur de telles données : nécessité d’introduire une souche du groupe Europe et une souche du groupe Amérique, abandon de la souche Miami/63, maintien de la souche A/equine/1/Prague/56 H7N7…
La grippe et le diagnostic en médecine vétérinaire
Les techniques utilisées pour effectuer le diagnostic d’une infection grippale sont très proches de celles employées en médecine humaine.
Virologie
La recherche du virus au niveau des voies respiratoires permettra de le mettre en évidence et ce par écouvillonnage des cavités naso-pharyngées.
Le prélèvement est inoculé à l’embryon de poulet par voie amniotique ou par voie allantoïque ou à des cultures de cellules en présence de trypsine. Le virus est détecté et identifié au bout de quelques jours par hémagglutination.
Des tests rapides permettent de confirmer ou d’exclure la présence de virus grippal. Ainsi, un test ELISA à l’aide d’anticorps monoclonaux anti-nucléoprotéine employé chez l’Homme est utilisé pour détecter en 20 à 30 minutes, les virus équins à partir d’écouvillons naso-pharyngés.
Sérologie
Le diagnostic sérologique peut aussi être utilisé directement ou dans le cadre d’un diagnostic de groupe. Différentes techniques sont employées : l’IHA ou la fixation du complément.
Traitement
Chez le cheval, le traitement instauré est essentiellement symptomatique. Il est absolument essentiel que les animaux malades soient mis au repos pendant une période minimale de 3 semaines dans un environnement propre et correctement ventilé afin que les épithéliums respiratoires retrouvent leur intégrité physique et fonctionnelle. Le non-respect de ces prescriptions simples est souvent à l’origine de complications ultérieures qui se manifestent par des cardiopathies ou des pathologies pulmonaires regroupées dans le complexe des maladies pulmonaires obstructives chroniques.
Cependant, dans les effectifs comprenant des animaux de grande valeur, l’amantadine et la rimantadine pourraient s’avérer utiles. Ces deux molécules inhibent la réplication virale en agissant sur la protéine M2 et en bloquant les canaux ioniques. Elles pourraient être utilisées à titre préventif dans un contexte épidémique. La résistance éventuelle des virus équins à ces molécules n’est pas connue.
Des traitements antibiotiques sont prescrits afin d’éviter les surinfections bactériennes.
(1) Afssa