La myopathie atypique : la clé de l’énigme – Bulletin n°33

par Florence PATARIN (1), Christel MARCILLAUD PITEL (2), Dominique-M. VOTION (1)

Une nouvelle série de cas de myopathie atypique aura marqué l’actualité vétérinaire de cet automne 2013. Depuis une dizaine d’années, cette maladie semble émerger en Europe, dont en France où plus de 450 cas ont été recensés sur le territoire depuis l’automne 2006 (Fig. 1).

Myopathie - RESPE

Cet automne, près d’une centaine de cas français ont été  rapportés. A nouveau, c’est en France et en Belgique que le plus grand nombre de cas a été enregistré probablement, en partie, par l’action proactive dans le recensement mené conjointement par le RESPE et par le réseau d’alerte AMAG (pour Atypical Myopathy Alert Group, en anglais) pour respectivement, la France et l’Europe (Fig. 2). La cause de la myopathie atypique vient d’être découverte et a été révélée en septembre 2013. La résolution de l’énigme devrait permettre, dans les années futures, de mieux prévenir voire de trouver un remède à la maladie.

Distribution myopathie - RESPE

 

Les étapes clés de la découverte de la cause de la myopathie atypique

Depuis l’automne 2006, le RESPE et l’AMAG ont collecté de nombreux échantillons de diverses natures (sang, végétaux, urine, organes…). Ceux-ci ont permis d’élucider le mécanisme physiopathologique associé à la myopathie atypique, i.e. l’agent causal altère le métabolisme aérobie mitochondrial, en particulier la voie de la B oxydation lipidique, et provoque un déséquilibre énergétique. L’identification de ce trouble métabolique a permis d’améliorer le traitement symptomatique et a dirigé la recherche de l’agent étiologique vers des toxines reproduisant le défaut identifié. D’autre part, les enquêtes épidémiologiques menées suggéraient que la toxine était contenue dans l’environnent et que sa production était sous l’influence de facteurs topo-climatologiques.

En novembre 2012, des scientifiques américains de l’Université du Minnesota publiaient une étude dans laquelle ils montraient que la myopathie saisonnière qui affecte les chevaux au pâturage aux États-Unis (et qui partage de nombreuses similitudes avec la myopathie atypique du cheval au pré rencontrée en Europe) est causée par une toxine (l’hypoglycine A) présente dans les graines de l’érable négundo (AcerAceraceaeAcer negundo). Une fois ingérée, l’hypoglycine A est métabolisée en un composé toxique qui perturbe le métabolisme énergétique conduisant aux désordres biochimiques observés à la fois dans la myopathie saisonnière qui affecte les chevaux aux États-Unis et dans la myopathie atypique.

L’hypoglycine A peut être contenue dans les graines de plusieurs arbres du genre Acer (i.e. « les érables ») et dans le passé, les recensements botaniques effectués sur les prairies des cas belges de myopathie atypique ont signalé systématiquement la présence d’érables sycomores (Acer,AceraceaeAcer pseudoplatanus) dans le voisinage des chevaux, tandis que « des arbres » étaient présents dans 98% des pâturages des cas européens.

En 2012, des sérums de cas européens on été transmis, pour analyse, à l’Université du Minnesota afin de rechercher le métabolite toxique identifié sur les cas de myopathie saisonnière des chevaux américains. Une vingtaine de sérums ont été analysés. Ces sérums provenaient de cas avérés et pour tous les cas pour lesquels la prairie a été visitée, un érable sycomore se trouvait dans le voisinage (i.e. dans et / ou en bordure de prairie).  Les résultats de ces analyses montrent que la myopathie atypique est induite par la même toxine que celle identifiée aux États-Unis.  Ainsi, il peut être conclu que la myopathie atypique résulte d’une intoxication aigüe induite par l’ingestion d’une toxine contenue dans les graines (appelées samares) de certains arbres du genre Acer (i.e. « les érables »), dont l’érable sycomore. Les autres érables communément présents sur le territoire français (l’érable champêtre et l’érable plane appelé parfois « faux sycomore ») ne semblent pas toxiques, tandis que l’érable négundo (qui tend à se naturaliser et qui est rencontré plus spécifiquement dans le Sud de la France) est toxique.

Jusqu’à présent, des samares d’érables sycomores ont été retrouvés dans toutes les prairies des cas qui ont été visités. Il est important de noter que des samares ont été retrouvés sur des pâtures de cas alors qu’aucun érable n’était dans ou jouxtait la pâture ; pour certaines, l’arbre le plus proche se trouvait à plus de 100 mètres !

Il est important de rappeler que la myopathie atypique tend à survenir les printemps qui suivent les automnes où de nombreux cas se sont déclarés. L’analyse rétrospective des cas aidera à mieux définir les conditions de toxicité des graines d’érables et les facteurs de protection  pour le cheval et la prairie. Il reste primordial de continuer le recensement des cas afin que les propriétaires de chevaux puissent être avertis des risques d’intoxication via des messages d’alerte diffusés largement par le RESPE et l’AMAG. Les acteurs de l’AMAG et du RESPE travaillent en parfaite synergie et nous invitons les vétérinaires français à déclarer leur cas via le site du RESPE (www.respe.net).

(1) AMAG
(2) RESPE