Leptospirose et avortements chez la jument – bulletin n°25

François VALON (1) et Stéphane CHAFFAUX (2)

Les leptospiroses sont des infections bactériennes universelles. Elles affectent toutes les espèces, dont l’espèce humaine (Zoonose). Leur expression clinique est diverse. De nombreuses études sérologiques ont démontré que la plupart des populations équines étaient exposées aux leptospires et que de très nombreux cas d’infection demeuraient cliniquement inapparents.

Des enquêtes, en Irlande du Nord et dans le centre du Kentucky, ont montrées que les leptospires étaient responsables de cas sporadiques d’avortement et de naissances prématurées chez le Cheval. Elles représentent de 2,5 à 5% de la totalité des avortements investigués. Ces enquêtes sont fondées sur le diagnostic sérologique M.A.T. (Microscopic Agglutination Test) et l’identification des bactéries par immunofluorescence (FAT). (Donahue J.M. et Williams N.M. 2000)

Une étude conduite en France a démontré la présence de leptospires dans des avortons équins grâce à la technique P.C.R. (Polymerase Chain Reaction), confirmée par l’observation histologique des bactéries colorées par l’argent. (Léon A. 2006)

Ces enquêtes et études ont permis d’identifier les points suivants :

I- Clinique

Les juments infectées ne présentent généralement pas de signes cliniques prémonitoires à l’avortement ou à l’expulsion, à terme d’un poulain mort-né. Elles ont souvent un titre sérique élevé en anticorps correspondant à un ou plusieurs sérovars de leptospires. L’avortement survient tardivement, entre le 6ème mois et le terme de la gestation. Parfois, la jument infectée met bas un poulain vivant, prématuré voire à terme. Ces poulains infectés in utéo sont généralement faibles et ictériques et ne peuvent survivre qu’à la faveur d’une réanimation associant des antibiotiques adaptés. Le diagnostic différentiel doit être réalisé notamment vis-à-vis des autres septicémies bactériennes néonatale, de l’infection in utero par EHV1, et avec l’isoerythrolyse du poulain. Le pronostic reste sombre.

II- Diagnostic

1- Diagnostic sérologique :

Sérologie : Le diagnostic des leptospiroses repose sur la sérologie et la détection des leptospires. Le test sérologique est fondé sur le test de micro-agglutination (MAT). Les antigènes testés doivent être représentatifs des différents sérovars supposés être présents dans la population animale correspondante.

Le sérum de la jument infectée a généralement un fort titre pour de multiples sérovars, (co-agglutinines) ainsi le sérovars causal est souvent difficile à déterminer. Les titres élevés ne correspondant généralement pas au sérovar causal. Les titres sériques en MAT des juments prélevées immédiatement après l’avortement sont habituellement très élevés (Supérieurs au 1/1600, parfois plusieurs dizaines de milliers).

2- Diagnostic « direct » bactérioscopique et moléculaire (PCR) :

L’urine de la jument ou du poulain nouveau né suspectés d’être infectés par des leptospires sont des échantillons qui peuvent également être prélevés pour le diagnostic.

Chez l’avorton dans l’étude du Kentucky, c’est l’examen du rein foetal qui donne le plus fort pourcentage de résultats positifs, pour la technique d’immunofluorescence (FAT).

Il existe maintenant des techniques PCR spécifiques des leptospires pathogènes, les prélèvements de choix pour les mettre en oeuvre sont : le placenta, le foie et le rein.

3- Diagnostic anatomo-pathologique :

Des lésions spécifiques et constantes caractérisent l’infection du foetus par les leptospires. Les lésions macroscopiques sont rapportées chez 80% des foetus et/ou poulains mort-nés, ainsi que sur leur placenta.

Les lésions macroscopiques du foetus sont :

– Un ictère et des pétéchies généralisés, ainsi que des ecchymoses ;

– Un foie hypertrophié, tacheté et décoloré, jaune ;

– Un oedème rénal, avec des décolorations radiales, blanc pâle, dans le cortex et la médulla.

Les lésions macroscopiques du placenta sont : de l’oedème et de la nécrose du chorion, avec un exsudat muqueux à sa surface. Des masses kystiques nodulaires sont parfois présentes sur la membrane allantoïdienne.

Dans une l’étude de Poonacha KB et coll (1993) (In Donahue 2000), chez 96% des foetus, des lésions histologiques furent observées. Les organes les plus souvent et sévèrement touchés sontle foie et les reins.

Les lésions hépatiques sont une dissociation hépato-cellulaire, l’apparition de cellules géantes dans le parenchyme et une infiltration leucocytaire du système porte.

Les reins contiennent des micro-abcès avec des cellules géantes. Ils présentent des tubules dilatés, de la fibrose et de multiples plages de néphrite interstitielle non suppurative. Ces lésions rénales, spécialement les micro-abcès, semblent être spécifiques des infections leptospirosiques.

Les lésions placentaires sont des thromboses vasculaires et une infiltration par des cellules inflammatoires variées. Dans la plupart des cas les bactéries peuvent être mises en évidence grâce à une coloration spécifique (Warthin-Starry) particulièrement dans le stroma des villosités placentaires, ainsi que dans les tubules rénaux.

Des lésions histologiques plus rares sont parfois notées dans les poumons, le coeur, les organes lymphoïdes et le cerveau.

III- Epidémiologie

L’épidémiologie de la leptospirose équine dépend largement du sérogroupe (Groupe de sérovars) de leptospire incriminé. Le Cheval est-il un infecté « permanent » ou accidentel pour ce sérovars ?

– On remarque pour le sérovars Bratislava (Sérogroupe Australis) une certaine adaptation, cette adaptation se caractérise par une grande réceptivité (multiplication importante de la bactérie) et une faible sensibilité (symptômes cliniques peu ou pas perceptibles). Cette hypothèse se fonde sur la séro-prévalence très élevée des anticorps Bratislava dans différentes populations équines, du monde entier, ainsi que sur l’isolement fréquent de ce sérotype, en Irlande du Nord. Si Bratislava est un sérovars hôte permanent du Cheval, sa transmission est avant tout directe par contact avec l’urine infectée d’un congénère. Cette infection directe pourrait également se faire par transmission vénérienne, des leptospires étant présentes dans les voies génitales d’un animal infecté. Bratislava se localise dans les reins des chevaux et est excrété dans leurs urines, durant toute la vie des animaux.

– En Amérique du Nord, les chevaux qui avortent sont généralement infectés par d’autres sérogroupes, provenant d’autres espèces animales. Les juments doivent donc être considérées comme étant des infectées accidentelles. Les chevaux infectés ont une excrétion urinaire de leptospires limitée dans le temps. Initialement la maladie n’est pas transmise entre animaux de la même espèce. La transmission est indirecte, elle résulte d’un contact avec un hôte de l’espèce infectée permanente (Vache, rongeurs…) ; lorsqu’une jument d’un haras est infectée, la transmission cheval à cheval des leptospires peut survenir, puisque les chevaux naturellement infectés excrètent un grand nombre de leptospires dans leurs urines, pendant 14 semaines pour certains. Cette durée d’excrétion urinaire varie entre animaux ainsi qu’entre études. (ref. Donahue et coll.)

IV- Traitement et prévention

La thérapeutique est indiquée pour prévenir la dissémination des leptospires par l’urine infectée ou pour traiter des juments gestantes présentant des taux élevés d’anticorps, ou leurs poulains qui ont pu être infectés in utero. L’efficacité de ces traitements n’est actuellement pas connue. Les antibiotiques habituellement utilisés sont les pénicillines, céphalosporines de 3éme génération, fluoroquinolone et tétracyclines. Leur choix dépendra des différentes indications en tenant compte de leurs propriétés (Diffusion, concentation, élimination, effets secondaires).

Aucun vaccin n’est actuellement disponible pour la leptospirose équine.

Seule une prophylaxie sanitaire peut prévenir l’infection des juments gestantes.

– Eviter le contact des juments avec l’urine des espèces hôtes permanents (rongeurs sauvages, bovins…) ;

– Eviter la contamination de l’eau de boisson par cette même urine.

Lorsqu’une jument avorte du fait des leptospires, le Kentucky a adopté, avec un certain succès, le plan suivant pour réduire les risques d’avortements ultérieurs (TABLEAU I).

CONCLUSION

En France aucune enquête ne permet d’apprécier l’incidence des avortements équins dus aux leptospires. Actuellement, grâce aux outils développés par le laboratoire Frank Duncombe avec l’appui scientifique de l’ENVN, nous disposons de l’ensemble des examens de laboratoire nécessaires à l’identification de cette maladie émergente et donc à la mesure de son incidence.

Le RESPE par la mise en place de son « sous réseau avortement » doit permettre :

– L’identification des avortements à leptospires par la méthode de diagnostic PCR, plus sensible que l’immunofluorescence.

– La détermination de la séropositivité des juments et l’étude des sérovars impliqués (par la technique MAT), lorsque l’avortement à leptospires aura été identifié par PCR.

– L’étude de la séroprévalence des avortements PCR négatifs pour cette affection.

L’ensemble de ces informations constituera une étude épidémiologique nationale, avec la possibilité, dans un foyer avéré, de mise en place de plans de prophylaxie raisonnés, par les éleveurs et vétérinaires traitants.

TABLEAU I : Mesures de prophylaxie sanitaire et médicale lors d’avortement à Leptospires

1. Nettoyer et désinfecter entièrement l’endroit où la jument a avorté. Faire en sorte qu’aucun autre animal de l’élevage n’ait de contact direct ou indirect avec aucun instrument, vêtements et litière utilisés dans cet endroit ou en provenant.

2. Isoler la jument ayant avorté de tous les autres animaux de l’élevage. L’endroit de l’isolement doit être choisi pour éviter le contact, direct ou indirect entre l’urine de la jument et les autres animaux. L’urine peut disséminer des leptospires pendant au moins 14 semaines après l’avortement. Un traitement adapté peut diminuer ce délai.

3. Si possible, titrer les taux d’anticorps anti-leptospires de tous les animaux de l’élevage par MAT. Si ce n’est pas possible, tester toutes les juments gestantes, spécialement celles qui ont été en contact avec la jument avortée. Tous les chevaux ayant un titre de 1/1600, ou plus, vis à vis d’un ou plusieurs sérovars de leptospire, doivent être isolés. Si la place manque, les chevaux testés positifs peuvent être rassemblés. Les chevaux négatifs ou avec un faible titre au test initial, sont de nouveau testés après 2 ou 3 semaines, et s’ils deviennent positifs (1/1600 ou plus), ils doivent être isolés.

4. Si une jument gestante a un titre élevé d’anticorps, un traitement antibiotique peut prévenir une infection de son foetus. Traitée ou non une jument infectée peut mettre bas un poulain vivant qui sera ou non infecté. Si un traitement approprié est institué, un poulain infecté peut parfois survivre, il doit alors être isolé des autres animaux, car son urine est fortement infectée.

Pour en savoir plus :

– Donahue M. et Williams N.M. (2000) : Emergent causes of placentitis and abortion. Vet. Clin. North Am. : Equine practice. 16 (3) : .443-456.

– Donahue M et Smith B (2004) Equine leptospirosis .Equine disease quarterly , Avril 13 (2)

– Levett P. N .(2001) : Leptospirosis. Clinical microb. review .14 (2) : 296–326

– Valon F. (1998) Etude clinique ,diagnostic et traitements des leptospiroses équines .Prat. Vét. Equine (30) ,120, 215-225.

– Valon F. Leptospirose chez les équidés .(FICHE TECHNIQUE)

– Léon A., Pronost S., Tapprest J., Foucher N., Blanchard B., André-Fontaine G., Laugier C., Fortier G. et Leclercq R. (2006) : Identification of pathogenic Leptospirosa strains in tissus of premature foal by use of polymerase chain reaction analysis. J. Vet. Diagn. Invest., 18 (2) : 218-221.

(1) Clinique vétérinaire du Parc des Brières
(2) INRA

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