Réseau Affections Nerveuses : objectifs, bilan et perspectives – bulletin n°19

Agnes LEBLOND (1), Pierre-Hugues PITEL (2) et Pierre TRITZ (3)

Le réseau « affections nerveuses » du RESPE est établi depuis maintenant trois ans. Nous avons souhaité faire le bilan des données recueillies afin d’évaluer son fonctionnement et de proposer, si nécessaire, des pistes de réflexion pour une future évolution. Deux objectifs principaux ont été définis pour ce réseau :

– une surveillance sanitaire, c’est-à-dire un recensement du nombre de cas par an et par clientèle, de maladies nerveuses d’origine infectieuse, parasitaire ou toxique ;

– une aide a la gestion de crise, par une récolte d’informations épidémiologiques et cliniques, si possible une aide au diagnostic et un retour d’information pour les praticiens.

Que déclarer ?

Tous les équidés présentant des troubles nerveux d’origine autre que traumatique ou congénitale doivent être déclarés (fiche de déclaration et fiche d’examen neurologique).

Les maladies d’intérêt sont :

– la rhinopneumonie forme nerveuse (EHV),

– des affections nerveuses relativement fréquentes telles que harper, maladie du neurone moteur, maladie de l’herbe, tétanos, botulisme,

– des affections rares mais présentant un intérêt épidémiologique (zoonoses essentiellement) : listériose, leptospirose, borréliose, encéphalite à protozoaires, maladie de Borna.

Quels prélèvements effectuer ?

Il est demandé au vétérinaire, en l’absence de diagnostic de certitude, de réaliser les analyses suivantes :

– un bilan hémato-biochimique de base  (NF , fibrinogène, bilirubine, urée, créatinine, GGT, AST, CPK, PT) (non pris en charge par le réseau),

– deux prises de sang pour cinétique sérologique EHV1 et un examen du LCR (cytologie, biochimie, bactériologie, sérologie et PCR) (pris en charge par le réseau),

– en fonction de la suspicion clinique, d’autres prélèvements peuvent être réalisés, pour confirmer par exemple un cas de maladie de l’herbe, de neurone moteur, d’intoxication…

Bilan 2003-2005

De juin 2003 à décembre 2005, 46 vétérinaires sentinelles ont déclaré 1 à 7 cas (médiane = 1). Trois vétérinaires seulement déclarent tous les ans (15% des cas), 9 déclarent deux années sur trois (30% des cas).

Au total, 98 cas d’affections nerveuses ont été déclarés. Du fait de données manquantes, nous présentons les résultats de l’analyse de 87 cas (86 chevaux et 1 âne).Globalement, aucune variation significative du nombre de cas n’est observée en fonction de la période de l’année. La distribution géographique des cas déclarés reflète la distribution géographique des vétérinaires impliqués : 29 départements sont concernés au total (11 en 2003, 17 en 2004 et 20 en 2005).

La population d’étude comprend 30% de SF (26¹), 18% de poneys (16), 16% de TF (14), 5% de PS (4) et 3% de chevaux de Trait (3). L’âge varie de 1 mois à 26 ans (médiane 8 ans) et 54% de femelles (45), 10% de hongres (8) et 37% de mâles (31) sont recensés (3 manquants). Trente deux pour cent des chevaux sont utilisés pour du loisir (28), 26% (23) pour la reproduction / l’élevage, 10% (9) sont dans des centres équestres, 10% (9) sont à l’entraînement de trot ou de galop (pour 18, autre activité ou information manquante).

Tous ces chevaux ont été inclus en raison de l’observation de troubles nerveux centraux ou périphériques. Un diagnostic étiologique a pu être établi dans 40% des cas (35). Il s’agissait de rhinopneumonie forme nerveuse (9), de harper (6), de maladie de l’herbe (3 confirmés, 3 probables), d’intoxications (glands, aflatoxines) (3), d’encéphalomyélite à protozoaires (2), de maladie du neurone moteur (2), d’intoxination botulinique (2), de Wobbler (1), d’encéphalite bactérienne (1), d’un syndrome « queue de cheval » d’origine probablement traumatique (1), d’une encéphalose hépatique (1) et d’une tétanie de lactation (1).

Les cas de rhinopneumonie forme nerveuse ont été diagnostiqués plus fréquemment en automne – hiver et en région parisienne ou Normandie : de juin à octobre 2003 en Seine Maritime, Calvados et Yvelines (4), en février 2005 dans le Calvados, le Val de Marne et les Vosges (3) et en mai et octobre 2005 en Seine et Marne (2). Ils concernent des chevaux utilisés en centre équestre, élevage ou à l’entraînement. Ils sont âgés de 2 à 24 ans (médiane 13 ans). Les femelles semblent moins fréquemment atteintes : 3 femelles sont recensées pour 5 mâles et 1 hongre. Les signes cliniques rapportés ont été : une température rectale moyenne de 38,4°C (de 37,5 à 40°C), des difficultés à se lever, une atonie vésicale avec incontinence urinaire (1), une dysphagie (1), une mydriase (1), une parésie faciale unilatérale (1) et un port de tête anormal (1). Le taux de mortalité est de 44% (4).

Les résultats des examens de laboratoire montrent : une sérologie herpèsvirus ≥128 à la première prise de sang (6) ou lors de la seconde prise de sang (2); dans un cas, le titre en anticorps est de 1/64; les résultats de l’examen du liquide céphalo-rachidien sont plus équivoques : la cytologie est normale ou contaminée, les recherches en anticorps sont positives vis-à-vis des herpèsvirus pour deux cas seulement et la PCR n’est positive que dans un cas.     Cette PCR positive a cependant été obtenue sur un cheval présentant un titre sanguin de 1/64 au premier prélèvement. Ce cheval étant décédé avant la seconde prise de sang, la réalisation de l’autopsie avec prélèvement de l’encéphale a été déterminante pour le diagnostic. Les autres sérologies sanguines mettent en évidence deux chevaux positifs vis-à-vis de Neospora, et un cheval positif pour la maladie de Lyme et l’Ehrlichiose.

En comparaison, nous avons étudié les caractéristiques de 30 cas non élucidés (« groupe témoin »), présentant une ataxie et sélectionnés au hasard dans la base de données. Ces cas sont répartis dans 17 départements et 57% (17) ont été recensés en automne – hiver. Quarante trois pour cent sont utilisés pour le loisir (13), 20% pour l’élevage (6), 17% en centre équestre (5) et 13% à l’entraînement (4). Ils sont âgés de 1 mois à 26 ans (médiane 8 ans). 47% sont des femelles (14), 33% des mâles (10) et 13% des hongres (4).

Les signes cliniques relevés sur ces cas sont : abattement avec anorexie et amaigrissement (7), température rectale moyenne de 38,1°C (de 36,5 à 40,0°C); l’ataxie est notée sur les quatre membres (5), uniquement sur les postérieurs (5) ou asymétrique (1); les autres signes nerveux décrits sont : port de tête anormal ou troubles de l’équilibre (6), amaurose (4), trismus, hyperesthésie ou tremblements (5), marche en cercle ou pousser au mur (2), dysphagie (1), dysurie (1), décubitus (7). Les autres signes associés sont toux (1), oedèmes (3) ou lymphangite (1). Le taux de mortalité dans ce groupe est de 33%.

Les résultats des examens de laboratoire montrent : une neutrophilie (4) ou une neutropénie (1), un fibrinogène normal (4) ou augmenté à 6 g/L (1), un taux d’anticorps vis-à-vis d’EHV négatif (8) à 1/64 (5). La seconde sérologie effectuée dans trois cas ne montre pas de variation du taux d’anticorps. Les autres examens sérologiques sont négatifs ou douteux (2 pour la maladie de Lyme et 2 pour l’Ehrlichiose). La cytologie du liquide céphalorachidien est normale (4) ou modérément inflammatoire (1).

La comparaison de ces deux groupes de cas permet de suggérer que la courbe temporelle, l’âge, le sex-ratio, la fréquence des signes cliniques et le taux de mortalité pourraient être différents chez les cas de rhinopneumonie forme nerveuse par rapport à notre groupe « témoin ». Cette étude de cas permet de souligner l’intérêt de la cinétique sérologique pour le diagnostic, même en l’absence d’une ponction de liquide céphalorachidien. Si le cheval décède avant la seconde prise de sang, il est alors déterminant de réaliser le prélèvement de l’encéphale et de l’acheminer dans de bonnes conditions au laboratoire.

¹ Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de cas recensés

Discussion et perspectives

La capacité de gestion d’une crise sanitaire repose sur la capacité du réseau à détecter une émergence, c’est-à-dire une élévation du nombre de cas observés par rapport au nombre de cas attendus sur une période donnée et en un point donné. La détection d’une émergence à partir du recueil de données cliniques et épidémiologiques fournit une alerte avant même la confirmation des cas par le laboratoire, et permet donc de mettre en place des mesures de prévention précocement.

Pour définir une émergence et donc un nombre de cas « seuil » au-delà duquel une alerte peut être donnée, il est cependant nécessaire d’avoir une bonne connaissance de la fréquence de base des affections recensées. Or à ce jour, aucune donnée recueillie ne nous permet d’évaluer l’exhaustivité des cas déclarés.

Le recueil de données longitudinales devrait également permettre, à terme, d’améliorer la définition des cas confirmés ou probables pour chaque affection, et de mieux définir les examens prioritaires à réaliser en fonction du tableau clinique.

En conclusion, retenons que 35 vétérinaires n’ont déclaré qu’un seul cas d’affection nerveuse en trois ans.

Il est aussi indispensable que les fiches de déclaration (à minima) soient remplies de façon exhaustive. Le nombre de données manquantes est encore important et limite la qualité de l’information qui peut être tirée de l’analyse d’une série de cas telle que nous venons de la présenter.

Nous espérons que le congrès AVEF sera l’occasion d’appréhender les raisons de cette faible implication et de discuter de propositions qui permettraient d’y remédier.

(1) ENVL
(2) Laboratoire Départemental Frank Duncombe
(3) Clinique vétérinaire de Faulquemont

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